temps psychique et mécanique quantique - (travail en plusieurs parties)
(extrait de mon travail sur le temps psychique, dont le but est une recherche de corrélation avec la mécanique quantique et les liens à la cosmologie).
(le temps psychique est il en miroir avec l'espace temps, ce temps cosmique en lien avec la singularité ? et à t'il une limite?)
Le temps social est une notion qui concerne notre espèce, dans un espace spatial relatif et déterminé. Il encadre notre existence, de notre naissance à notre mort, et marque de manière différente à travers les sociétés les différentes étapes d’une vie. C’est en quelque sorte un « code de la route du temps », qui est à la base de notre organisation en sociétés. Nos lois, nos règles, sont régies en vertu de cette notion abstraite laquelle, dans le cas d’un refus de soumission, nous écarte de notre organisation collective. Aujourd’hui je me suis levé à 7h00, car j’ai besoin de 1h pour prendre mon petit déjeuner et me préparer. Je ne reste pas plus de 6 minutes sous la douche car j’ai un petit chauffe-eau et je dois partager le temps de la salle de bain avec d’autres personnes. A 8h00 je dois absolument partir prendre mon bus qui passe deux rues plus loin à 8h10, et si tout se passe bien j’arrive au travail à 9h00. Si je veux boire un café, j’ai jusqu’à 9h10 pour le faire car chaque matin j’ai un briefing dans le bureau de mon patron qui ne dure jamais plus de 10 minutes. Je peux « timer » ma journée entière comme cela et vous le présenter sous forme de tableau, chaque jour de ma semaine et dans le moindre détail. Et puis il y a la déclaration d’impôt à envoyer avant demain minuit, le carnet de note de ma fille à signer pour lundi 8h00 ou bien ne pas oublier d’envoyer la résiliation de mon abonnement téléphonique avant la fin de ce mois-ci. Et le plus étrange, c’est cette impression de liberté quand le samedi, jour de repos, je ne mets pas mon réveil, je mange à 13h au lieu de midi et je découvre avec surprise qu’il est déjà 20h, je n’avais pas vu le temps passer.
Et c’est là que tout commence, c’est à ce moment-là que je me suis posé cette question : pourquoi à un certain moment, face à cette horloge, je n’entends plus le « tic tac » ? Pourquoi je ne vois plus ce temps passer ? Ce temps revient subitement à moi comme pour me rappeler qu’il n’est pas possible de rester sous l’eau plus longtemps, de peur de s’asphyxier et malgré le spectacle si reposant que m’offrent les abysses de l’océan. Si s’éloigner du temps c’est gagner en liberté, alors vivre avec le temps, vivre dans le temps, c’est devoir supporter la pression de l’eau au-dessus de notre tête au fond de cet abysse. Le temps serait donc cette eau qui s’engouffre partout avec un remous fracassant, offrant tantôt des plages savoureuses, tantôt des crues ravageuses emportant tout sur son passage. Si le temps c’est de l’eau et si l’eau est constituée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule oxygène (H2O), alors de quoi est constitué le temps ? Ce qu’il y à l’intérieur du temps n’existe qu’à travers notre psychisme et se nomme la temporalité. Notre appareil psychique est un décanteur temporel qui transforme le temps en temporalité c’est-à-dire qu’il caractérise ce qui se trouve dans le temps. Ce temps qui caractérise ce qui existe autour de nous, dans une direction irréversible, prend naissance à travers notre psychisme et notre savoir, nos expériences, car pour savoir il faut apprendre et apprendre c’est accepter le temps. Le savoir est ici comparable à un matériau constitué essentiellement d’une compression du temps - et notre existence toute entière, d’un point de vue intellectuel et archaïque, nous incite inconsciemment à savoir car savoir est un moyen de contenir le temps. J’ai souvenir, lors de ma scolarité en primaire ou même au collège, que les cours de français ou de géographie me paraissaient interminables alors que mes cours de physique, de mathématiques et de sciences n’étaient jamais assez longs et j’avais cette envie insatiable d’en recevoir encore plus. Quand j’en parlais à mes parents en leur présentant mon bulletin de notes, ma mère disait : «Tu es plus scientifique que littéraire, voilà tout », et c’est exact bien évidement. Mais ma temporalité elle aussi serait-elle donc plus scientifique que littéraire ? Je ne pense pas que le temps nous définisse, je pense plutôt que notre psychisme prend le chemin le plus court, que le temps trouve son élan et sa force dans ce mouvement psychique. Freud élabore une étude saisissante de bon sens à ses débuts en écrivant : «Esquisse d'une psychologie scientifique » (en allemand : « Entwurf einer Psychologie »). L’esquisse est un texte, écrit entre 1895 et 1896, il n'a été connu qu'en 1948. Cette œuvre inachevée contient en germe tous les points que Freud développe par la suite dans son élaboration de la psychanalyse. La date de sa parution doit bien rendre attentif au fait que les premiers psychanalystes ne pouvaient pas en avoir eu connaissance avant 1950 en allemand, en 1954 en anglais et seulement en 1956 en français. Ce qui m’a interpelé dans ce texte de Freud (que je développerai plus tard d’un point de vue technique) c’est l’usure du temps, le lien subtil entre nos neurones (connexion des synapses) et le frayage des informations perçues jusqu’à leur restitution dans un référentiel temporel. Je prends comme exemple le cas clinique bien connu du petit Hans: - il y a une image provenant d’une expérience : l’enfant qui voit le grand sexe du cheval dans la rue - il y a l’affect : l’enfant aime sa mère. - il y a une projection craintive : l’enfant a peur de son père. - enfin, il y a la phobie : qui est une élaboration psychique dans le temps. Dans « l’esquisse d’une psychologie scientifique », Freud posait les bases de ce que les neurosciences tentent aujourd’hui d’élucider. Il postulait l’existence de traces et de frayages pour expliquer l’empreinte laissée par un événement dans le circuit des neurones et dans le temps, empreinte durable qui a des effets à long terme. Freud écrit « l’affect a toujours raison »(1), et l’esquisse nous démontre qu’un affect étranglé est un arrêt de l’horloge du temps. Il y a donc bien ici une corrélation entre le psychisme et le temps, là où l’homme cherche à se penser alors qu’il est lui-même pensé par le temps au point de fondre le tout en un seul sujet. Nous voyons bien que ce sujet est inépuisable .Tout d’abord car le temps se glisse partout, nous l’avons vu, le temps organise notre vie et notre société toute entière mais aussi le temps structure et façonne notre perception du monde extérieur et intérieur. L’inconscient est intemporel comme l’explique Freud en 1915 : « Les processus du système inconscient sont intemporels c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont absolument aucune relation avec le temps »(2).
Comme certains le savent au sein de la Fédération Freudienne de Psychanalyse, j’ai une approche plus scientifique du fonctionnement psychique. J’étudie et j’expérimente la notion quantique de l’information psychique à travers la mémoire cellulaire et c’est du reste ces recherches qui m’ont conduit à découvrir le travail de l’Esquisse de Freud. Je suis persuadé que Freud a mis le doigt sur une découverte scientifique incontournable dans l’étude du fonctionnement de l’appareil psychique. Certainement trop en avance pour son temps, l’étude de l’esquisse est un point d’ancrage pour les neurosciences mais aussi une porte qui nous conduira très certainement à approuver une approche quantique du lien entre le psychisme et le temps. Je vais donc limiter au maximum, pour ce travail, les explications scientifiques liées au temps – mais permettez-moi d’en faire parfois l’utilisation à des fins logiques et comparatives.
(1) - S. Freud (1900), L’interprétation des rêves, Paris, 1973, PUF, p. 393. (2) – S. Freud - Métapsychologie (« l'inconscient ») - tr. fr. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, éd. Gallimard, pp. 96-98
Pour terminer cette introduction, je dois avouer que j’ai quelque peu menti sur ma motivation quant au choix du sujet de mon mémoire. En effet, la réelle étincelle qui m’a mené jusqu’à m’aventurer vers la temporalité est due au texte d’une chanson. J’étais à la salle de sport quand ma playlist musicale a choisi de programmer une chanson qu’écoutait mon père quand j’étais enfant, une chanson qui, 30 ans plus tard, était restée intacte dans mes souvenirs. Les premières notes m’ont plongé dans le passé à une vitesse imperceptible et ma mémoire projeta le visage du chanteur dont je ne me rappelais plus le nom. Un visage flou autour duquel je pouvais distinguer une longue chevelure blanche, puis les premiers mots « avec le temps », un souffle et « avec le temps, va, tout s’en va », puis le nom de l’artiste qui me revient : Léo ferré. Bien évidemment, à l’époque où la cassette se déroulait dans le magnétophone familial, je ne portais aucune attention à ces paroles, ni même à la musique lourdement accompagnée la voix de Monsieur Ferré. Car, à cet âge-là, la mort ne me concernait pas, nous n’avions rien à nous dire elle et moi et le temps qui me séparait de mon père faisait toute la différence dans cette situation. A cet âge-là, je n’étais que pulsions, je commençais à peine à quitter cette position de toute puissance, résidu archaïque de mon narcissisme primaire – j’avais un désintérêt total aux choses qui ne représentaient rien pour moi. Et quand j’observais mon paternel, les yeux dans le vide, écoutant cette chanson de malheur, je ressentais de la colère et un ennui profond. Aujourd’hui je comprends que je ne faisais que refouler cette idée inacceptable qu’est le temps et je ne voulais pas voir cet homme, accablé comme je le suis aujourd’hui, exprimer pudiquement sa faiblesse face à son fils dont la vie prenait tout son élan mais où la mort déjà le guettait. Le temps est un miroir qui ne reflète rien.
Avec le temps, va, tout s’en va – qu’est ce qui s’en va ? C’est cette question terrifiante que je me pose aujourd’hui, et si les choses s’en vont alors ou s’en vont-elles ? Ont-elles vraiment été là ?
La voie royale à l’inconscient, voici le terme employé par Freud pour définir le rêve. Nous allons dans ce chapitre explorer le monde onirique et observer le monde extérieur en nous positionnant au croisement de ces deux mondes.
“L'inconscient est la véritable réalité psychique, dans sa nature intime et il est aussi inconnu pour nous que la réalité du monde extérieur” S.Freud.
Cette voie royale est loin d’être une route dégagée, paisible et ensoleillée ; elle est une route étroite, une succession de ramifications en petits chemins aux profondes ornières. Des chemins sous un épais ombrage d’une forêt dense ou la clarté n’est pas de mise et sans panneaux indiquant l’orientation à suivre. Les sentiers se divisent en sentes ou parfois les pentes sont si vertigineuses qu’il est impossible de faire demi-tour ou même de regarder en arrière. Seul des échantillons du monde extérieur viennent mettre en scène un chaos souvent indéfinissable et incompréhensible, un chaos souvent résumé par : « J’ai fait un rêve bizarre ». Mais tout n’est pas sombre dans le rêve, Bergson parle de « quelques points brillants », même s’il n’a pas de lien proprement dit avec Freud, Bergson (Philosophe Français né à Paris) se pose une question profonde sur le rêve :
« Voici donc un rêve. Je vois toute sorte d’objets défiler devant moi ; aucun d’eux n’existe effectivement. Je crois aller et venir, traverser une série d’aventures, alors que je suis couché dans mon lit, bien tranquillement. Je m’écoute parler et j’entends qu’on me répond ; pourtant je suis seul et je ne dis rien. D’où vient l’illusion ? Pourquoi perçoit-on, comme si elles étaient réellement présentes, des personnes et des choses ? »(1).
Et Freud, à cette même époque, en 1899 publie « L'Interprétation du rêve » (Die Traumdeutung) ou « L'Interprétation des rêves », mais daté par l'éditeur de 1900. Ce livre représente un moment fondateur de la psychanalyse au début du XXème siècle. Freud s'intéressait à ses propres rêves depuis longtemps, bien avant de se lancer dans l'aventure de son livre sur « la Traumdeutung » proprement dit, une lettre à sa fiancée Martha Bernays du 19 juillet 1883 parle d'un “carnet de notes personnelles sur les rêves” composé à partir de son expérience »(2).
De même, Freud s'intéresse très tôt aux rêves de ses patients. Au-delà d'utiles indications sur ce que ceux-ci, consciemment ou non, « dissimulaient » à leur médecin, Freud en vient à penser que les mécanismes de production du rêve sont homologues aux mécanismes de production du symptôme. Puis il admet que cela n'était pas limité aux structures pathologiques, l'analyse des rêves pouvant constituer « une méthode puissante d'élucidation des processus psychiques eux-mêmes », et il note et analyse dès lors ses propres rêves. L'élaboration du livre durera presque quatre années, du printemps 1896 à fin 1899.
(1) « Le rêve » est un court texte de Bergson tiré d’une conférence qu’il a prononcée en 1901.
(2) Roudinesco et Plon, entrée : « Interprétation du rêve (L') », p. 763.
Stefan Zweig (écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien né en 1881) parle de Freud au sujet de son étude sur le rêve et précise «il est temps de remarquer le travail de Freud […] Ce qu’il faut admettre c’est que son travail a transformé notre sphère intérieure ». En effet, le processus de transformation opéré par le rêve est un mécanisme dynamique et ce mouvement, que nous a révélé Freud, est au cœur d’un rapport d’échange entre le psychisme et le monde extérieur. Il y a le monde extérieur qui agit sur le Moi, une partie est refoulée, l’autre est enregistré par un processus inconscient et tout ce matériel tente à nouveau d’agir sur environnement extérieur et à en modifier son état. Il y a là une notion qui me fait à nouveau penser au principe de la relativité d’Einstein, où le mouvement et le temps sont liés. Le Moi développe sa présence intérieure en utilisant le monde extérieur et marque de son empreinte ce monde extérieur, Lacan parle de l’extimité, par opposition à l'intimité, est, tel qu'il a été défini par le psychiatre Serge Tisseron, le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque-là considérés comme relevant de l'intimité. Il est constitutif de la personne humaine et nécessaire à son développement psychique - notamment à une bonne image de soi. En cela, l'extimité doit être distinguée de l'exhibitionnisme qui est pathologique et répétitif, inscrit dans un rituel morbide. Dans un sens différent mais tout aussi lié à Lacan, le mot "extime" peut être utilisé pour traduire le mot anglais uncanny, utilisé notamment pour décrire le concept de la vallée dérangeante (de l'anglais uncanny valley, qui est une théorie du roboticien japonais Mori Masahiro, publiée pour la première fois en 1970, théorie très intéressante autour de la réflexion que ce que nous créons peut nous sembler étranger et devenir familier). « Extime » désigne ce qui est tourné vers le dehors, en prise sur les événements extérieurs. C’est dans un sens analogue que Jean Echenoz utilise « extime » dans son premier roman, Le Méridien de Greenwich en 1979. Il fait de Byron, son héros, un personnage : « sans attache sensible, sans ancrage particulier. Ne s’attardant ni aux objets ni aux décors, il traversait l’espace avec une inattention sincère. Jamais il n’avait pu acquérir la notion de domiciliation, se mouler à l’impératif civique du lieu privé, intime, adhésif. […] Ainsi, à Paris, son bureau du boulevard Haussmann et son appartement de la rue Pétrarque, pôles rigoureux d’une quotidienneté binaire, lui étaient également familiers et étrangers, intimes autant qu’extimes, semblables en cela, par exemple, à une cabine d’ascenseur, à la salle d’attente d’un dentiste ou à la terrasse d’un tabac du quai Voltaire».
Je note dans cet extrait de Jean Echenoz (écrivain, né dans le Vaucluse en 1947), que la notion espace/temps est une fois de plus révélatrice d’un mécanisme psychique liant le monde extérieur au monde intérieur. En résumé, le Moi se développe, se construit par superposition de couches (comparable à un oignon) à travers le temps par des expériences chronologiques. Puis le rêve puise dans les ressources du Moi le matériel lui étant nécessaire afin « d’élaborer » une expérience onirique en y ajoutant un grand ensemble d’éléments refoulés, pour enfin projeter à nouveau vers le monde extérieur un matériel « personnalisé ». Dans ce processus, l’intimité s’investit dans l’élaboration d’une projection, certainement afin de trouver un peu de soi (donc de Moi) dans le monde extérieur. Je note à ce sujet, le mouvement social des gilets jaunes, ne serait-il pas une volonté revendiquée d’un désir d’extime ? Dans le but de vivre dans un monde extérieur qui correspond plus à un monde psychique intérieur là où l’intimité deviendrait un projet de partage commun (je prends comme exemple le système capitaliste qui offre à loisir et sans limites la possibilité d’assouvir nos pulsions, grâce au crédit
revolving, au paiement en plusieurs fois sans frais, au marketing sauvage, à la consommation de masse. Alors que notre surmoi nous rend une monnaie amère, chargée de regrets et de culpabilité, de raisons et de réflexions économiques ou même écologiques. Et ce rouage psychique, d’allers retours entre l’intérieur et l’extérieur, incluant le matériel onirique, change de manière puissante à une vitesse parfois imperceptible notre société, et dessine discrètement notre avenir. Le rêve est donc une sorte de bricolage artisanal, non pas réalisé par nos mains mais plutôt par notre appareil psychique, qui nous livre une représentation en images une fois les censures et la barrière de contact franchies. Ces images (et parfois, mais très rarement, ces odeurs ou ces sons) se dissipent très rapidement. Les pensées latentes s’assemblent en un matériel utilisé par le processus du travail du rêve. L’appareil psychique arrange au mieux ce matériel afin qu’il soit acceptable par la conscience, les associations sont le liant, et une fois associé ce matériel tente de se rapprocher du processus primaire dont la libido est l’énergie principale. Les processus secondaires quant à eux, tentent de rendre compréhensible tout ce travail. Freud considère que le rêve est une façon de penser, donc nous avons deux espaces de pensée : l’un dirigé par la conscience, face au monde extérieur, avec un Moi qui négocie en permanence avec le surmoi. Et l’autre où le monde extérieur n’interfère pas et qui laisse le ça libre de s’exprimer, là où les pulsions et les processus primaires trouvent leurs libertés absolues. Le rêve est donc un témoignage de l’activité de la pensée, qui consiste à repenser ce qui nous entoure, comme nous l’avons vu précédemment. Intéressons-nous maintenant à la chimie qui opère entre ces deux systèmes de pensée, comment les deux matériaux (l’un conscient et l’autre inconscient) fusionnent et se dissolvent. Freud précise dans son étude que l’inconscient est intemporel et donc que le rêve ne bénéficie pas de notion de temps comme la conscience en bénéficie.
Dans un article de la Métapsychologie, Freud décrit les quatre propriétés qui caractérisent le fonctionnement du système inconscient : absence de contradiction, mobilité des investissements, intemporalité, substitution du réel psychique au réel extérieur. Cela permet de comprendre comment s’effectue le « travail » de déguisement du désir refoulé dans le rêve. Ce travestissement permet à la fois au désir de s’exprimer confusément, sans se dire clairement, ce qui provoquerait l’éveil, et contribue par-là à abaisser la tension psychique. Rêve ou délire sont donc des formations de «compromis» entre exigences pulsionnelles et exigences du Moi (1).
Nous pourrions donc considérer que le temps quitte le sujet via son inconscient, que le sujet élabore une nouvelle réalité dans un espace intemporel, et renvoie ce matériel dans un espace à nouveau temporisé. A partir de différents éléments provenant du monde extérieur et appartenant au commun, le fait d’introjecter ces différents éléments dans une zone intemporelle qui est l’inconscient et de travailler selon un mécanisme d’élaboration définit par Freud (le rêve) – ce matériel renvoyé vers le monde extérieur est unique, comme filtré et transformé en un élément nouveau qui ne sera jamais plus reproduit. Pour développer cette notion « d’unique » qui est réalisable exclusivement grâce au passage temps / non-temps et non-temps / temps, je vais prendre deux exemples, l’un biologique et l’autre historique.
(1) Freud, Métapsychologie, L’inconscient, Paris, Gallimard, 1968, trad. J. Laplanche et J. ‑ B. Pontalis, pp 96 ‑ 98.
Lors du travail du rêve, les différents éléments ayant une similitude particulière sont assemblés par un mécanisme de condensation. Chaque élément du rêve renvoie à de nombreuses représentations. Ces représentations (le contenu latent) se condensent pour échapper à la critique ; il y a là déguisement, réduction, compression du rêve. Mais la condensation appelle également une autre remarque. C'est dire que d'après la psychanalyse le rêve n'est pas simplement déterminé mais bien plus surdéterminé, chaque élément du rêve renvoyant à plusieurs éléments inconscients. Ce sont donc deux images qui se superposent en une et c’est particulièrement cette dernière image qui est retenue. Cette image, étant chargée d’une accumulation d’affects divers, sera déplacée de son contexte affectif. Cela dans le but de pouvoir poursuivre le rêve et ne pas trop déranger le surmoi afin de veiller à poursuivre le sommeil.
Puis la figuration va théâtraliser l’ensemble des images retenues, Freud emploie le terme en allemand de Darstellung du verbe darstellen: « présenter ». L'inconscient ne peut faire passer un message, un contenu dans le rêve qu'en présentant ce message sous forme d'image ou de scène animée, de telle sorte que le contenu soit acceptable par la censure du rêveur. Puis enfin, une deuxième élaboration, dite secondaire, va à nouveau organiser les images afin qu’elles soient plus rationnalisées et non censurées. Le projet final sera le contenu manifeste du rêve. Nous comprenons bien qu’il y a autant de versions manifestes que de combinaisons du loto possibles car nous partons avec une grande quantité d’éléments qui sont transformés aléatoirement en d’autres éléments puis à nouveau aléatoirement organisés entres eux. Sachant que les éléments appartenant aux expériences de chaque individu (source du contenue latent) sont uniques - ou, s’ils sont communs, sont attachés à des affects différents - il est aisé de penser qu’il n’y a pas deux rêves identiques. Des rêves tout aussi différents que le sont les flocons de neige entre eux, le monde extérieur commun est dans ce cas l’oxygène et l’hydrogène du flocon de neige (et si la comparaison semble amusante, imaginez la quantité d’information qui fabrique un rêve quand on sait qu'un seul mètre cube de neige contient environ 350 millions de flocons). Alors, l’espace intemporel de l’inconscient bénéficie d’une quantité incroyable et proche de l’infini de possibilités pour construire de manière aléatoire un rêve et en faire un modèle unique jusqu’à la prochaine nuit. Et voilà la particularité de l’homme, la particularité du vivant ! C’est à ce moment-là que je cite mon exemple biologique qui concerne les abeilles : Dans un espace contrôlé, si plusieurs ruches sont installées proches de champs de lavande, les abeilles vont fabriquer un miel de lavande – partageant l’espace mis à disposition. Les abeilles butineront toutes le même nectar, elles auront toutes la même méthode de fabrication du miel par régurgitation – et pourtant, sur l’ensemble de toutes les ruches, aucun miel ne sera identique d’un point de vue chimique. Vous pourriez me dire qu’il n’y a pas de rapport entre le psychisme qui élabore un rêve et une abeille qui fabrique du miel, mais il y en a un : le temps. Car ce qui fait qu’un miel est diffèrent, c’est la variabilité du temps entre le butinage et l’élaboration du miel – et pour comprendre là où je veux en venir, j’ai besoin de mon deuxième exemple.
Voici un exemple historique qui corrobore le fait que chaque conception, quelle qu’elle soit et liée au temps, est unique – sous couvert d’un dénominateur commun (le miel pour les abeilles, le rêve pour le rêveur). Charlotte Beradt (journaliste allemande née en 1907) a publié un registre qui regroupe plus de trois cents récits de rêves livrés lors de témoignages (rêves sous le IIIe Reich). La particularité de ce travail est la période durant laquelle les témoignages ont été donnés, à savoir les rêves de berlinois et berlinoises subissant le régime hitlérien de 1933 à 1939 sous le troisième Reich. Charlotte Beradt a fait un rêve au début de l’année 1933 qui l’a conduite à se poser une question : de quoi rêvent mes semblables, persécutés, malmenés et apeurés ? Voici sont récit :
"Je me réveillais trempée de sueur, claquant des dents. Une fois de plus, comme tant d'autres innombrables nuits, on m'avait pourchassée en rêve d'un endroit à l'autre - on m'avait tiré dessus, torturée, scalpée. Mais cette nuit-là, à la différence de toutes les autres, la pensée m'est venue que parmi des milliers de personnes, je ne devais pas être la seule à avoir été condamnée de la sorte par la dictature. Les choses qui remplissaient mes rêves devaient aussi remplir les leurs - fuir par les champs à perdre haleine, se cacher en haut de tours hautes à en donner le vertige, se recroqueviller tout en bas derrière des tombes, les troupes de SS partout à mes trousses"(1).
Nous sommes à ce moment-là (du rêve de Charlotte Beradt) trois jours après la nomination d’Hitler à la chancellerie et Freud dépose un mois auparavant chez son éditeur « Malaise dans la culture ». Nous voyons bien ici que les intellectuels, à cette époque, pressentent quelque chose d’inquiétant et du reste Hitler, trois mois après, est à la majorité de l’assemblée avec 44% et ouvre vingt jours plus tard le premier camp de concentration nazi. Revenons-en au travail de Charlotte Beradt, l’ensemble des témoignages présentent des rêves très différents les uns des autres, certains sujets sont poursuivis – ou bien torturés, persécutés – d’autres sont bourreau, ou collaborateurs – il y en a même qui abandonnent leurs enfants et parfois d’autres se donnent la mort. Trois cents rêves différents mais en lien avec une situation à venir et présente menaçante, c’est exactement la même histoire que nos abeilles ! Freud à ce sujet, concernant l’individuel et le collectif d’un point de vue psychique écrit : "Chez l'homme individuel, en cas de tension, seules les agressions du surmoi se manifestent à très haute voix sous forme de reproches, tandis que les exigences, les préceptes eux-mêmes restent souvent inconscients à l'arrière-plan. Les amène-t-on à la conscience, il s'avère alors qu'ils coïncident chaque fois avec les préceptes d'un surmoi-de-la-culture donné. Ici, pour ainsi dire, les deux processus, le procès de développement culturel de la foule et celui qui est propre à l'individu, sont régulièrement collés l'un à l'autre » (2).
(1) Charlotte Beradt. (Rêve de poursuite, p 7, cité par M.Leibovici)
(2) Malaise dans la Culture, à la page 85.
Il y a là collusion entre leur surmoi et les prescriptions surmoïques perverses du régime. Il y a donc ici une temporalité réelle, qui correspond au calendrier politique, la mise en place du régime dictatorial mais il y a aussi dans l’intemporel de l’inconscient et à travers le rêve, une prédiction d’un avenir sombre probablement influencé par cet inconscient lui-même . Comment expliquer que le rêve nous renseigne sur l’avenir ou peut nous sembler totalement inapproprié à nos idéaux ?
Premièrement, l’ambivalence des sentiments influence fortement le matériel onirique, Freud dit que « le rêveur est un artiste », donc cet artiste dispose d’une palette de couleurs dont chacune d’entre elle reflète un affect refoulé et laquelle une fois posée sur la toile révèle une pensée jusque-là inconnue. Nous voyons ici à nouveau que le rêve pense, car l’inconscient pense.
Freud avait déjà bien compris ce mécanisme entre les instances liées à la temporalité, en 1920 s'impose à lui le texte de "Au-delà du principe du plaisir". C'est une des conséquences de la constatation, à l'occasion de la première guerre mondiale, de rêves traumatiques chez les combattants et les anciens combattants - le début de la deuxième topique et de l’étude dynamique entre pulsion de vie et pulsion de mort (Eros et Thanatos).
Le travail onirique a donc cette capacité de faire les choses, les défaire à nouveau, pour les refaire encore dans un future proche ou éloigné. C’est un passage dans un espace intemporel (l’inconscient) ou les éléments sont immobilisés puis renvoyés, projetés dans la cascade du temps. Henri Bergson (philosophe né à Paris en 1859) parle à ce sujet de « ce qui se fait est solidaire de ce qui se défait ». Je vais reprendre ici son exemple sur le vêtement accroché à un clou :
«Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l’on arrache le clou ; il oscille si le clou remue, il se déchire si la tête du clou est trop pointue, il ne s’ensuit pas que chaque détail du clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins s’ensuit-il que le clou et le vêtement soient la même chose. Ainsi, la conscience est incontestablement accrochée à un cerveau mais il ne résulte nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience, ni que la conscience soit une fonction du cerveau. Tout ce que l’observation, l’expérience, et par conséquent la science nous permettent d’affirmer, c’est l’existence d’une certaine relation entre le cerveau et la conscience » (1).
(1) Insuffisance des doctrines, P39
« Ce qui se fait est solidaire de ce qui se défait », tout comme le rêve. Faire le rêve et le comprendre est lié, c’est-à-dire partir du contenu latent pour aller vers le contenu manifeste – puis partir du contenu manifeste pour remonter vers le contenu latent, c’est faire et défaire, cela forme un ensemble. L’être humain est donc capable d’observer la transformation et son monde extérieur se tisse avec cette notion de solidarité entre les éléments faits et défaits. Il est donc concevable que le temps ait besoin d’intemporel pour exister et l’espace onirique semble se prêter à cela. Je me pose une question après cette réflexion au sujet de la temporalité du monde extérieur construite à partir de notre monde inconscient et donc intemporel : le temps ne prendrait il pas naissance dès lors qu’il y a du mouvement ? Supposant que l’inconscient est une matière immobile, pourrait-elle être inerte ? Tout comme une clé USB, qui contient de l’information mais sans aucun mouvement (comme un titre de musique inscrit dans un dossier qui ne prend de sens qu’au moment où le temps crée un mouvement, celui des notes de musique qui se succèdent pour créer une mélodie).
Il y a une porte qui sépare l’inconscient du monde extérieur, les mécanismes de défense parviennent à désactiver la temporalité d’une expérience afin de la conserver dans un espace psychique intemporel de l’autre côté de cette porte (comme l’exemple de la musique sur la clé USB, c’est un encodage binaire, compressé, inerte). Cette porte nous la voyons pour la première fois à notre naissance puis, aussi intrigante qu’elle puisse être, nos parents y placent un gardien devant afin de nous protéger de l’inconnu – puis, de génération en génération, cette porte reste fermée et ce qui se trouve derrière est la plus grande source d’inspiration définissant les ténèbres et ce depuis la nuit des temps. L’enfant en bas âge a très souvent peur (angoisses fortes) lorsque la fatigue annonce le sommeil. Les parents jouent de diverses parades afin d’apaiser ses angoisses et accompagner l’enfant progressivement vers la pente de l’endormissement grâce à divers rituels du coucher (en racontant des histoires, avec un attrape rêves dans la chambre, avec une petite veilleuse ou un dès les premières nuits avec un mobile musical au-dessus de la tête). Cette angoisse qui précède notre sommeil est présente même chez l’adolescent ou l’adulte et surtout chez les personnes âgées, qui par un mécanisme de régression inconscient, se replongent dans un état d’anxiété important. Je cite un extrait d’une étude gérontologique qui nous expose clairement les différents mécanismes psychiques cités précédemment :
« Comme à tout âge de la vie, le vécu de la nuit peut être radicalement différent d’une personne à une autre et est fortement imprégné de la subjectivité et de l’histoire personnelle. Pour certains, le sommeil permettra de s’échapper de ce qui est si douloureux le jour : son âge, ses incapacités, sa solitude, ses douleurs, ses angoisses; pour d’autres, le noir va marquer l’approche du moment de la confrontation avec tout ce qui est si difficile à vivre dans le grand âge et qu’on oublie parfois un peu si le quotidien le permet, la nuit devenant alors le moment d’une confrontation avec soi-même avant l’endormissement puis avec son imaginaire dans le sommeil.
L’évocation éventuelle de la mort à travers la position allongée dans le noir peut être renforcée si la personne âgée est dépendante pour ses déplacements et se retrouve donc « contrainte » dans un espace dont elle ne peut sortir seule voire avec des barres autour de son lit.
Avec l’avance en âge, on a de moins en moins confiance en ses capacités, l’environnement peut être vécu comme dangereux, à risques parce que susceptible entre autre de provoquer une chute; la présence des autres est parfois très épisodique et la nuit, à domicile, souvent inexistante. En institution, le sentiment de sécurité n’est pas forcément meilleur; en effet, si la présence de veilleurs de nuit peut être rassurante, le risque éventuel d’incursions d’autres résidents confus dans sa chambre, voire dans son lit représente une violation intolérable de son intimité qui peut renvoyer à des peurs beaucoup plus ancestrales, voire à des événements traumatiques. La sécurité nécessaire à un bon sommeil est donc mise à mal. La peur de ne pas se réveiller peut conduire la personne âgée à un état de veille susceptible d’être accompagné de plaintes incessantes, de douleurs, d’une aggravation des symptômes habituels, de gêne dans les jambes, de difficultés respiratoires, de déambulation… Comme souvent chez la personne âgée, la somatisation vient parler de ce qui ne peut être verbalisé; le corps sert de support à l’expression de l’angoisse, du mal-être, de la souffrance psychologique. Dans ce contexte, les intervenants de nuit, tant à domicile qu’en institution, devraient être les garants d’un climat sécurisant et d’une écoute bienveillante pour que les angoisses, l’agitation de l’esprit puissent être éventuellement partagées. Afin que le sommeil puisse jouer pleinement son rôle réparateur, une attention particulière devrait être portée au confort matériel, sensoriel et psychique et à la restauration ou au maintien de rituels préparatoires au sommeil. Comme chez les enfants ou chez toute personne en situation de fragilité, les pratiques rituelles autour de la prise d’une tisane (ou du somnifère !), de l’extinction de la lumière par une personne familière, du verre d’eau posé à côté du lit « pour le cas où… », ont une fonction d’apaisement face à l’angoisse de la séparation et de la solitude »(1).
Je vais reprendre quelques passages de cet extrait pour en faire un rapprochement psychanalytique :
1- « le sommeil permettra de s’échapper de ce qui est si douloureux le jour » : c’est un refoulement contrôlé par la conscience, du moins un évitement recherché de manière consciente. Le sujet va se coucher tôt ou parfois s’endormir plusieurs fois dans la journée sachant que d’après une étude de l’Unité Cognitivo-comportementale de Toulouse, la somnolence excessive dans la journée peut concerner jusqu’à 30% des plus de 65 ans. (comme nous pouvons aussi le voir chez des sujets dépressifs) afin de bénéficier d’une « coupure » du flux conscient. Dans le cas présent concernant la gérontologie, l’usure du temps ressentie par le sujet et devenue insupportable (souvent accompagnée de solitude, de pertes et de retours du refoulé) et l’état de sommeil permet une récupération physique dans le sens où l’utilisation des mécanismes de défense durant la journée est très coûteuse en énergie. Mais, pour la plupart des sujets âgés, ce sommeil est difficile et de courte durée.
(1) Gérontologie et société 2006/1 (vol. 29 / n° 116), pages 109 à 118
Freud nous dit que le rêve est le gardien du sommeil et nous voyons bien dans le schéma ci-dessus (étude du CHU de Toulouse) que le sommeil est réduit de moitié après 30 ans comparativement à la période de la naissance. Donc le rêve garde considérablement moins bien le sommeil après 30 ans et encore bien moins à un âge avancé. J’en déduis donc que les censures, permettant de protéger les instances psychiques, s’affaiblissent avec l’âge et que l’accumulation d’expériences dans le temps ne parvient pas à être contenue (souvenirs et affects) par les divers mécanismes de défense utilisés. Les personnes âgées sont souvent réveillées par des symptômes d’anxiété ou d’angoisse durant la nuit ou au matin très tôt, Freud définissant cela comme des « terreurs nocturnes ».
2- « le noir va marquer l’approche du moment de la confrontation avec tout ce qui est si difficile à vivre dans le grand âge ». Ce qui est difficile à vivre, autre que la difficulté liée au corps et à l’usure cellulaire, est très certainement l’accumulation incessante d’un refoulement pulsionnel tout au long d’une vie - mais aussi l’accumulation d’expériences, de remises en question, de réflexions, de souvenirs soit la matière du temps passé, d’un temps perdu à jamais, comme Léo Ferré l’écrit «avec le temps tout s’évanouit». En d’autres termes la pression qu’exerce le « barrage » de l’inconscient, prêt à céder, déborde de plus en plus, les années passantes, pour se déverser lors du sommeil dans un lac devenu un marécage sombre et glacial. Alors il est évident que le sujet âgé, ne pouvant plus bénéficier d’un travail du rêve efficace, ne profite plus d’un sommeil apaisant. Et je rajoute que dans ce schéma de régression à une position infantile, le sujet concerné est souvent isolé et ne bénéficie plus d’un accompagnement « rituélique » qu’il a connu enfant (ce qui peut expliquer la renonciation du sujet à aller se coucher).
3- « L’évocation éventuelle de la mort à travers la position allongée dans le noir peut être renforcée si la personne âgée est dépendante » . Nous voilà plongés au cœur du travail de Freud dans sa deuxième conception des formes pulsionnelles présentée dans « Au-delà du principe de plaisir en 1920 ». Freud conçoit en opposition à la pulsion de vie, une pulsion qui tend à ramener l’être vivant à un état anorganique : la pulsion de mort . Nous l’avons vu précédemment, le sujet âgé régresse afin de diminuer ses tensions – mais à la fois, ayant fait l’expérience négative liée aux satisfactions libidinales dans le passé, aujourd’hui il s’en méfie et s’oppose au principe de plaisir grâce à cette pulsion de mort donnant naissance à un conflit psychique (pulsion de vie / pulsion de mort).
Les pulsions de mort ont deux orientations possibles : soit elles sont dirigées vers le sujet lui-même (dans notre cas de gériatrie, le sujet va se faire du mal, ne plus se nourrir, vouloir mourir) et l’on parlera de pulsion d’auto destruction – soit elles sont dirigées vers l’extérieur (agressivité, démence, violence) et l’on parlera ici de pulsions d’agression. Nous voyons bien ici l’importance du mécanisme psychique opéré par le travail du rêve qui nous permet non seulement de maintenir le sommeil mais aussi de maintenir un niveau satisfaisant de pulsion de vie liant avec elles les pulsions d’autoconservation, essentielles à notre évolution. Il me semble fatal que le sujet âgé cède à ses pulsions de mort, ne pouvant plus accéder au plaisir et laissant ainsi le déplaisir gagner son quotidien – car son corps fragile et faible l’éloigne progressivement du rêve et ce qui illustre bien cela est le jeu de la bobine où l'enfant remet en scène une situation déplaisante de manière à en acquérir la maîtrise, de sorte qu'au final le jeu est pour lui un moyen de diminuer le déplaisir associé à cette situation. Mais quand le sujet est trop âgé pour jouer alors la répétition n’est plus que déplaisir et pourtant il y a une recherche de plaisir via ses pulsions de mort! Simplement car le sujet, de manière inconsciente, désire atteindre un niveau de tension faible - et Freud dans « Au-delà du principe de plaisir » parvient à la conclusion paradoxale que principe de plaisir et pulsion de mort ne s'opposent pas, ne sont pas contraires : dans la mesure en effet où le plus bas niveau de tension (niveau que le principe de plaisir veut atteindre) correspond en définitive à l'état de repos du non-vivant, le principe de plaisir est au service de la pulsion de mort : "compulsion de répétition et satisfaction pulsionnelles aboutissant directement au plaisir semblent ici se recouper en une intime association"(1).
La notion de temporalité est forte, dans le sens où un être vivant vient au monde, accumule des expériences et tente de refouler un maximum de représentations des pulsions tout au long de sa vie - et puis quand par exemple le travail onirique s’enraille, l’angoisse qui nous a accueilli à la naissance nous accompagne de nouveau, pour nous ramener à cet état anorganique du commencement . Le temps n’aura ainsi jamais existé d’un point de vu psychique de l’inconscient car le début est la fin , là où deux mouvements circulent dans le sens opposé : l’un avance vers la mort, l’autre régresse vers l’inexistant. C’est à ce moment, quand la fin approche, que le sujet désinvestit progressivement le principe de réalité, pour investir dans ses pulsions de mort et retrouver le plaisir. Et je cite à nouveau Léo Ferré « Avec le temps, […] on se sent glacé dans un lit de hasard ».
(1) Au-delà du principe de plaisir, Freud 1920
4- « le sentiment de sécurité n’est pas forcément meilleur; en effet, si la présence de veilleurs de nuit peut être rassurante, le risque éventuel d’incursions d’autres résidents confus dans sa chambre, voire dans son lit représente une violation intolérable de son intimité qui peut renvoyer à des peurs beaucoup plus ancestrales, voire à des événements traumatiques ». Je vais finir cette étude de l’extrait « Gérontologie et société » avec ce passage qui nous présente deux pathologies névrotiques distinctes : la psychonévrose phobique et la névrose traumatique. Le travail du rêve a une place importante ici, il est un dénominateur commun qui va nous faire comprendre la difficulté du dormeur à dormir. Commençons par « les peurs […] ancestrales ». Je précise ici que mon approche du mot « ancestral » est une approche ontogénétique et non pas phylogénétique – simplement pour se rapprocher de la pensée Freudienne « La préhistoire infantile doit primer sur la préhistoire ancestrale »(1). Dans l’hystérie d’angoisse, l’angoisse est fixée sur un objet extérieur qualifié de phobique, c’est une angoisse exogène. Le sujet à peur de ses pulsions qu’il nie et qu’il projette sur un autre objet extérieur, devenant ainsi un objet chargé d’angoisses. Cet objet oriente donc l’hystérie d’angoisse vers une phobie et la libido est libérée en angoisse (et non pas convertie comme dans l’hystérie de conversion). Ce qui est intéressant ici c’est que le symptôme principal de la névrose de transfert est l’angoisse – et équivaut au contenu manifeste du rêve. Donc la pulsion refoulée via la phobie est lourdement présente dans le contenu manifeste et comme le rêveur âgé ne maintient plus le refoulement alors le réveil est provoqué par une censure inefficace, c’est le rêve d’angoisse.
Concernant les « événements traumatiques » , nous allons nous orienter maintenant vers la névrose traumatique, qui elle aussi a une forte connexion avec le travail du rêve. Un traumatisme est un évènement qui survient de manière inattendue et non anticipée et qui représente une menace extrême sur la vie du sujet. Je reprends l’étude de l’Esquisse, où une grande partie d’information exogène (une quantité) se présente soudainement aux portes de l’appareil psychique et submerge à grande vitesse le psychisme du sujet (défaut de fonctionnement du par excitation). Puis une ramification se met en place et dissous en plusieurs circuit l’expérience liée à une notion de mort. « Le traumatisme est puissant parce qu’il n’y a pas de montée progressive d’angoisse qui prépare le choc, totalement imprévu : c’est l’effet de surprise auquel les défenses du moi ne sont pas préparées. Il y a alors incapacité à réguler le choc émotionnel »(2).
(1) S. Freud, 1914-1915, p. 94-95 - La phylogenèse et la question du transgénérationnel
(2) David Benhaïm. Métapsychologie niveau 1, Éric Ruffiat – P 126.
Mais un choc émotif intense peut être due à une interprétation anormale du monde extérieur ou bien d’une excitation androgène trop puissante par exemple l’angoisse de castration, angoisse signal à visée protectrice est remplacée dans ce nouveau paradigme par l’Hilflosigkeit – la détresse du nourrisson qui désigne la paralysie du sujet face à une effraction quantitative, véritable effroi d’origine externe ou interne. La traduction clinique de ce modèle est cette névrose traumatique dont le moteur est la compulsion de répétition et quoi de mieux pour répéter que le travail onirique ! Lors de ce processus de ramification du traumatisme, une partie de la quantité est immédiatement renvoyée vers l’extérieur mais une grande partie se disperse dans l’appareil psychique et la seule échappée psychique qui lui reste est le rêve, un espace où le sujet revit inlassablement l’expérience inconsciemment. Jusque-là tout peut sembler convenable d’un point de vue clinique – même si ce mécanisme est coûteux en énergie et peut déclencher des symptômes post traumatiques. Mais dans notre cas d’étude sur un sujet âgé, si le travail du rêve n’opère plus convenablement comme nous l’avons vu précédemment, la charge émotionnelle liée au traumatisme va outrepasser la censure et envahir par une forte angoisse l’instance de conscient du sujet. Les mémoires traumatiques du sujet concerné étant plus accessibles, il est évident que les moindres inquiétudes ou la simple impression d’insécurité déclenchent, chez le sujet âgé, une défaillance somatique accompagnée de symptômes d’anxiété et d’angoisse.
La temporalité vient se placer une fois de plus et d’elle-même au centre du symptôme d’angoisse, la distorsion du temps entre le monde extérieur - le corps - le rêve – les instances (conscient et inconscient) – la régression – le principe de plaisir et la pulsion de mort, a cette particularité étrange de nous définir comme des immortels, des êtres intemporels, Freud écrit :
“La mort propre est irreprésentable. Dans l’inconscient, chacun de nous est convaincu de son immortalité”.
Et je vais rebondir sur cette situation, après une semaine de confinement face à la menace du COVID-19, une menace de mort dans une situation de guerre comme l’a expliqué notre président de la république Française. En effet voilà une semaine, six jours exactement, que la population est assignée à rester confinée chez elle afin de contrôler au mieux la pandémie du coronavirus qui se répand à grande vitesse à travers notre planète. Nous voilà aujourd’hui tous unis par un dénominateur commun qui est chargé d’un symbole morbide et qui à la fois révèle l’importance de la vie. Voilà un temps où notre psychisme est mis à rude épreuve, où ce que l’on redoute et que l’on rejette depuis toujours s’approche de nous sans délicatesse, la mort, celle dont parle Freud et qui nous est irreprésentable. Le mot d’ordre de notre gouvernement est clair et consiste simplement à rester chez soi et cela ne semble pas compris par un grand nombre de citoyens. Car cette mort, cette menace ultime nous est irreprésentable, notre mémoire ne peut pas se souvenir d’une extinction massive de la population, où les cadavres sont empilés dans la rue, simplement car nous n’avons jamais rien vécu de tel (à l’échelle mondiale). Et Monsieur Macron a employé le mot « guerre » car dans notre mémoire collective, les seuls évènements pouvant faire résonner la dangerosité de cette situation sont les deux dernières guerres mondiales. Donc en effet il n’est pas représentable
consciemment de projeter un scenario catastrophe car nous n’avons pas de références disponibles dans nos expériences et nos souvenirs, soit aucune trace traumatique nous mettant en alerte via divers symptômes psychiques et somatiques. Par contre, je constate chez certains patients que les symptômes d’anxiété sont très présents en ce moment, et ce depuis la mise en place du confinement. Cela se comprend par une rupture des habitudes, des activités, de l’éloignement social, qui laissent place dans le silence parfois pesant à un retour du refoulé fortement lié à nos angoisses de mort, que Freud identifie comme « un analogon de notre angoisse de castration », et j’ajoute à cela une autre citation Freudienne « Toutes les fois qu’il m’a été possible de pénétrer le mystère, j’ai constaté que le malheur auquel le malade s’attendait n’était autre que la mort » (1). Donc les sujets anxieux face à cette situation de pandémie répondent non pas à une vision consciente du risque sanitaire qui menace la planète mais plutôt à une défiance des mécanismes de défenses affaiblies par la situation actuelle. Et pour étayer cette réflexion je prends pour exemple le non-respect d’un grand nombre de personne concernant les consignes de confinement, en effet c’est ici que je souligne l’autre partie de la citation précédente de Freud concernant la conviction de notre inconscient qui fait de nous des êtres immortels. D’un côté nous sommes effrayés à l’idée de mourir puis d’un autre nous ne nous sentons pas concernés, la conscience subit le choc qui se manifeste physiquement via une information provenant de l’inconscient – et en même temps l’inconscient ne se sent plus concerné par cette information. Nous avons ici une collision psychique où l’intemporel s’affronte avec le temporel et lors de discussions téléphoniques en soutien psychologique avec des patients, j’entends à chaque fois « je n’ai plus la notion du temps en ce moment » ou bien « je m’ennuie et mes idées ne sont plus claires ». Cette situation actuelle, dans le cas où elle s’orienterait vers un scénario catastrophe (réel ou complotiste), aura le même impact psychologique sur le travail onirique que l’a révélé le travail de Charlotte Beradt (et je pense que ce travail pourrait être renouvelé dans le cadre de cette pandémie mondiale). Pour en revenir au comportement de certains, qui refusent de se confiner, je pense que c’est un évitement tout du moins un mécanisme de refoulement veillant à baisser les symptômes d’angoisse. Le confinement est un deuil, celui de notre vie d’avant avec une vision sur le futur réduite au néant, avec une projection morbide refoulée depuis l’enfance. Nos pulsions sont réduites à s’évanouir sans aucun compromis, sans bar, sans restaurant, sans achats et la contrepartie est soit une augmentation des tensions psychiques soit d’enfreindre les règles, le surmoi est ici mis à l’épreuve.
Une étude indique que le taux de prévalence du moral négatif est de 73 % :
« Les auteurs de l’étude ont compilé une vingtaine de travaux réalisés a posteriori, avec des personnes ayant vécu des périodes de quarantaine : 388 soignants de Taiwan placés pendant 9 jours en quarantaine après avoir été exposés au SRAS en 2002-2003 ; 903 résidents d’un quartier de Hong Kong, foyer de contamination du SRAS, confinés chez eux pendant des jours ; 1 161 Sierra-Léonais isolés dans leur village exposé au virus Ebola en 2018 […]
(1) Totem et tabou – 1913
La conclusion des chercheurs n’incite pas à l’optimisme : ils relèvent que « la plupart des études examinées ont signalé des effets psychologiques négatifs », notamment des symptômes de stress post-traumatique, de la confusion et de la colère. Selon certaines études, ces effets résonneraient sur le long terme. Pour autant, « cela ne signifie pas que la quarantaine ne doit pas être utilisée. Les effets psychologiques du non-recours à la quarantaine, qui permettrait à la maladie de se propager, pourraient être pires » (1).
Pour conclure ce chapitre sur le rêve et la temporalité et refermer cette parenthèse concernant la perception psychique de cet état d’urgence sanitaire que nous traversons, je vais m’appuyer sur le travail de Freud concernant son analyse d’après-guerre avec un texte de 1915 où il parle de la désillusion et de la modification du rapport à la mort produite par les premiers mois du conflit (la guerre de tranchées).
« Et voilà que la guerre, à laquelle nous ne voulions pas croire, fit irruption et apporta la désillusion. Elle n’est pas seulement plus sanglante et cause plus de pertes qu’aucune des guerres antérieures en raison du puissant perfectionnement des armes offensives et défensives mais elle est pour le moins aussi cruelle, acharnée, impitoyable que toutes celles qui l’ont précédé [...] elle renverse dans une rage aveugle tout ce qui lui barre le chemin comme si après elle il ne devait y avoir parmi les hommes ni avenir ni paix » (2).
Il est intéressant de souligner que si nos rêves sont un accomplissement de désirs alors quels seront nos désirs après une période traumatique ? Il me semble, de manière générale que les messages qui circulent sur les réseaux sociaux depuis la mise en place du confinement, s’orientent progressivement vers une prise de conscience majeure en terme d’écologie, des fausses valeurs capitalistes, du pouvoir politique, les gens s’étonnent eux-mêmes qu’il est agréable d’être chez soi ou que le télétravail semble plus confortable d’un point de vue technique et familial. En éloignant un instant mon analyse sur l’aspect traumatique et anxiogène du confinement (qui pour moi va s’estomper progressivement, au vu de la mise en place de nouvelles habitudes de vie) et en considérant l’impression « intemporelle » du moment , nous observons un rapprochement vers le point zéro du temps, le moment présent, là où l’inconscient et la conscience parviendraient enfin à s’accorder . Comme le souligne Freud dans ce passage de « considérations actuelles sur la guerre et sur la mort », il y a une sorte de rite initiatique à l’échelle mondiale qui nous désillusionne, qui parvient à rompre les barrages et qui nous plonge dans un futur sans avenir. Mais nous parlons ici de quel avenir ? L’avenir d’une illusion ? Celui où nos désirs sont freinés dans le seul but de préserver l’espèce humaine et de construire un surmoi adapté au monde extérieur. Mais si ce monde extérieur change, nous allons aussi changer – nos frustrations aussi vont changer mais aussi et surtout nos rêves ! Et nos rêves vont pouvoir à nouveaux se projeter vers le monde extérieur, un monde nouveau qui va nous offrir de nouvelles expériences plus douces et plus apaisantes.
(1) Charlotte David - Edité par : Emmanuel Ducreuzet.
https://destinationsante.com/covid-19-les-effets-psychologiques-du-confinement.html
(2) S. Freud, Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915 .
Dans son étude, Freud émet un instant l’hypothèse d’une organisation de notre société sans religion ou sans domination de la masse en soulignant que nos rêves sont des illusions – même s’il pense que ce mode de fonctionnement n’est certainement pas le meilleur, il en conclut tout au moins, que c’est ce qu’il y a de plus efficace en cet instant.
Aujourd’hui le temps est ralenti, les humains sont connectés entre eux technologiquement parlant, les religions font partie d’un temps presque révolu, le système capitaliste est à bout de souffle - et si le travail de Freud nous décrivait les bases d’un nouveau départ ? Freud, hérétique autoproclamé, nous exhorte à remplacer le succès de nos refoulements par le résultat du travail rationnel de l’esprit - les hommes « vivent le présent d’une façon pour ainsi dire ingénue et sont incapables d’estimer ce qu’il apporte ; le présent doit acquérir du recul c’est-à-dire être devenu le passé avant de pouvoir offrir des points d’appui sur lesquels fonder un jugement relatif au futur » (1) et ce temps est arrivé, le temps zéro.